Le carnet de campagne du Capitaine, ses objets
personnels et autres souvenirs ont été récupérés par son
frère Hubert et sa descendance. En sa mémoire, le 29 mai
1921, on a donné son nom à mon père nouveau-né : Alfred
Mostenne.
Chaque année, puis tous les cinq ans, ses chers soldats
se réunirent à On, berceau de la famille Mostenne, pour
honorer sa mémoire et se retrouver autour d’un repas
chaleureux ponctué des récits de leurs faits de guerre
qui les ont unis à jamais dans la plus profonde et
éternelle amitié…
J’ai réalisé ce « livret » grâce aux rares et précieuses
notes de mon grand-père, Joseph Mostenne. Pour ce faire,
j’ai dû déchiffrer son écriture, ce qui ne fut pas
toujours chose aisée, bien qu’elle soit belle et ne
manque pas de caractère !
Il se peut donc que ma transcription comporte des
incohérences, mots mal compris, noms mal orthographiés,
« blancs » volontaires, etc. Veuillez m’en excuser…
En voici l'introduction :
Le 11 novembre, une date à jamais gravée, réservée à
tous les sacrifiés de 14-18, au Capitaine Mostenne,
entre autres, avec qui je me connecte plus encore ce
jour symbolique et où je ne manque pas de lui faire une
petite visite à On. Nous ne sommes rien, ou si peu, face
aux ancêtres et leur abnégation… que nous avons le
devoir de louer !
Vingt millions de morts… un chiffre qui laisse sans voix
!
Je pense plus particulièrement aux mutilés de guerre,
aux « gueules cassées » creusées de cratères béants par
les obus ! Ou à ces hommes enterrés jusqu’aux
épaules dans les tranchées effondrées, leur tête livrée
aux rats sans pouvoir les chasser… récits de mon
grand-père qui a vécu l’horreur absolue !
Comme chaque année, le 11 novembre, je pavoise et mon
drapeau flotte au vent à une des fenêtres de l’étage.
Puis je me rends au village pour remercier une fois
encore mon grand-père qui y repose et qui fut gravement
blessé dans les
tranchées de l’Yser. Parti à la guerre en laissant ma
grand-mère enceinte, il a disparu pendant les cinq
années !
Retrouvé touché à la colonne vertébrale sur un
lit d’hôpital à Cherbourg par la Croix Rouge suisse, il
est rentré meurtri pour découvrir son fils de cinq ans
qu’il ne connaissait pas. Enfant qui, paraît-il, était
fasciné par le père qu’il s’était inventé et qui était
réellement là. Puis je vais remercier mon héros, le
Capitaine, dont je porte le nom et qui l’a donné à la
place du village. Mortellement blessé dans la forêt d’Houthulst,
peu de temps avant l’Armistice, sa mort héroïque est
gravée dans la pierre, sur le monument de l’allée
centrale du cimetière. À son frère Hubert qui l’a veillé
jusqu’à ses derniers instants, il disait : « Je meurs
content parce que mes hommes et moi, nous avons bien
travaillé ! Je donne mon sang, mais nos ennemis en ont
payé chaque goutte de la vie d’un des leurs. Je ne
regrette qu’une chose, c’est de ne pouvoir conduire mes
compagnons jusqu’à la victoire complète. »
Ils étaient neuf enfants, j’ai connu quatre de ses
frères et soeurs. Lui, le cadet de la fratrie, n’avait
que vingt-sept ans lorsque ses yeux se sont fermés pour
toujours.
Petite, j’évoluais parmi ses soldats — ses chers
mitrailleurs comme il les nommait — qui le vénéraient.
Ils venaient
régulièrement des quatre coins du pays pour s’incliner
devant sa sépulture, des années durant.
J’étais si fière, le jour des commémorations, de ne pas
me trouver dans les rangs des écoles qui défilaient
avec, en tête, les trois figures incontournables du
village : le bourgmestre, l’instituteur et le curé, mais
parmi eux qui, à tour de rôle, me tenaient la main ! Et
j’étais bien trop jeune pour pouvoir partager avec eux
leurs faits d’armes, cette incroyable et admirable
fraternité qui liait le Capitaine à ses hommes et qu’ils
ont partagée entre eux après sa mort jusqu’à ce que le
dernier s’éteigne à son tour.
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